Bien que « saké » – 酒 en japonais soit un terme général pour toutes les boissons alcoolisées, le saké japonais – « nihonshu » est défini comme une boisson alcoolisée produite à partir de riz fermenté. A la base le mot Shu est un mot d’origine chinoise qui veut dire alcool ou vin. Quand nous mentionnons le saké japonais nous évoquons le Nihonshu car le saké peut aussi être produit dans d’autres pays que le Japon.
Par Bruno SCAVO

Le saké partage des caractéristiques avec le vin et la bière, mais il en est aussi distinct. Dans la production de saké, l’amidon de riz est converti en sucres fermentescibles, mais la conversion de l’amidon en sucre et du sucre en alcool se produit simultanément dans le même récipient. La fermentation est donc à la fois multiple et parallèle, elle s’appuie sur les activités combinées de la levure et d’un champignon, le koji-kin (Aspergillus oryzae) pour subir à la fois les deux processus cruciaux de transformation enzymatique et fermentation alcoolique. Afin de produire du saké, un certain riz est choisi parmi une centaine de variétés de type « japonica ». Le Yamada- Nishiki (30% des plantations) est considéré comme supérieur, voire comme le « roi des riz » par beaucoup mais d’autres « cépages de riz » existent parmi lesquels : Gohyakumangoku (25% des plantations), Miyama Nishiki (10%), Omachi (2%), Dewa Sansan (2%). Les grains de riz sont polis, afin d’enlever une partie de l’enveloppe extérieure chargée de protéines et lipides. Le polissage n’est pas obligatoire pour la catégorie Junmai, ni pour le riz de bouche, qui n’a pas un noyau défini. Ce cœur du grain de riz (le shinpaku) est riche en amidon. Le saké est étiqueté en fonction de la mesure dans laquelle il a été poli par le taux de matière restante (seimaibuai).

La fabrication :
Une fois le riz poli, il est rincé, trempé dans l’eau et cuit à la vapeur par étapes successives. Un premier lot de riz cuit à la vapeur est inoculé avec le koji-kin, un champignon vert et poudreux. La moisissure pousse sur le riz cuit à la vapeur pendant environ deux jours (36- 48 h). Il se nomme le koji–mai. Des levures, du riz supplémentaire (appelé kaké-mai) et de l’eau sont ajoutés au koji-mai pour créer la moto ou culture mère (shubo), une sorte de « pied de cuve ». La moto se développe sur une période de deux semaines (certaines méthodes traditionnelles telles le kimoto ou yamahai peuvent durer jusqu´au double du temps) avant d’être déplacée dans un plus grand récipient pour la fermentation. Du koji, de l’eau, du riz cuit à la vapeur supplémentaires sont ajoutés à la moto en trois étapes successives (appelées sendan-shikomi) pour la création de la moromi, ou cuve de fermentation, cette dernière double de taille à chaque ajout. Une fois l’ajout final fait, le saké fermentera jusqu’à 45 jours, il atteindra une teneur en alcool d’environ 20% maximum. Généralement, l’eau est de nouveau rajoutée (opération facultative) afin d’abaisser le niveau final d’alcool à environ 15- 17%. Le saké est ensuite pressé (opération obligatoire pour devenir Seishu), il est généralement filtré et pasteurisé (opérations facultatives).

Un saké peut en cacher un autre.
Comment sert-on le saké ?
Le saké se présente de sec à doux. La perception du niveau de sucre résiduel est indiquée parfois sur l’étiquette comme un nombre entre -15 et +15 (nihonshudo). Cette échelle, est une mesure de la gravité spécifique du saké ou densité par rapport à celle de l’eau. Les valeurs négatives indiquent la douceur, les valeurs positives indiquent un caractère sec, le zéro est neutre.
Quelle que soit sa douceur, il est préférable de servir le saké de type moderne légèrement réfrigéré, ou à température ambiante au maximum. La pratique du saké chaud s’applique aux catégories traditionnelles. Cette opération doit se faire au bain marie, jamais au micro-ondes. Bien que le saké puisse être servi dans des verres à vin pour rehausser ses arômes, la boisson est traditionnellement versée de la bouteille en tokkuri— un flacon en céramique à cou étroit — puis versée dans l’ochoko (petits récipients cylindriques) ou dans des tasses sakazuki plus cérémonielles. Pour un service du saké chaud, dans les températures de type « kan », les règle de l’art imposent de placer le tokkuri dans un bain d’eau chaude pour une montée en température tout en douceur. Le saké est généralement destiné à la consommation rapide, meilleur peu de temps après la date d’embouteillage, car il ne s’améliore généralement pas avec l’âge en bouteille. Il existe néanmoins une catégorie minoritaire de sakés vieillis : jukuseishu, conservés en général plus d´un an. Ils sont brassés dans ce but et représentent environ 0,5% de la production. Les sakés qui ont soufflé leur 3ème bougie s´appellent Koshu. Cette minorité vaut le détour, certaines brasseries se spécialisent dans cette catégorie à la robe dorée, ambrée ou même topaze qui n´est pas sans rappeler le nez de certains Xeres Amontillado ou Oloroso avec le salin umami qu´on trouve dans les sauces soja. Fruits secs, aromes cirés et mellifères riment avec une richesse texturée et savoureuse en bouche.

Les styles de Saké :
Tokutei Meishoshu (Saké de désignation spéciale ou Saké Premium)
Le saké premium se divise en deux familles : les « pur riz » sans alcool ajouté et ceux dont cet ajout est strictement encadré par la règlementation. Ces sakés premium représentent plus ou moins 35% de la production et la quasi- totalités des importations en Europe. Le reste d´environ 65% de saké brassés sont de futsu- shu et sont destinés à une consommation domestique, voire très locale parfois. Ce sont les sakés de table.
Junmai obligé à 70% de seimaibuai avant 2004, il n´est plus tenu à un certain degré de polissage à condition que le producteur n’utilise que de l’eau, du riz et du koji. Ce « pur riz » propose une aromatique moins expressive, aux arômes céréaliers ou lactiques, mais offre un gout plus typé. Parmi les Junami se trouvent aussi les sakés les plus traditionnels – kimoto et yamahai. Ce sont souvent des sakés de caractère, à l´image des samouraïs.
Honjozo son taux de polissage est imposé à 70% en raison d´une légère quantité d’alcool (distillat pur), moins de 10%, qui est ajoutée au saké. Pendant la deuxième guerre mondiale, l´ajout d´alcool sans mesure et sans taux de polissage imposé avaient généré une pseudo- catégorie peu qualitative, les sakés « aruten » disparu depuis. Aujourd´hui ses sakés « arrangés » á la manière des geikos sont très bien réalisés. L´alcool n´est pas perceptible, il sert de vecteur aromatique leur donnant un style plus éthéré et plus expressif que les Junmai.
Ginjo poli minimum à 60%. S’il est étiqueté seulement Ginjo, le saké sera honjozo dans le style, avec de l’alcool ajouté. Si aucun alcool distillé n’est ajouté, il sera étiqueté Junmai Ginjo. La production de saké Ginjo s´inscrit dans le mouvement dénommé « ginjo- boom » des années ´80 après l´apparition des levures capables de produire des aromes de type ginjo- ka : Nr. 9 et Nr. 10. Ce type de fermentation nécessite un strict contrôle de la température et produit des sakés fruités et délectables, avec moins d´acidité, un caractère plus tendre que les Junmai, surtout en cas d´ajout d´alcool. Ces aromes dites ginjo- ka sont des esters aromatiques tels les notes de banane, melon, poire, pomme verte et ananas.
Daiginjo poli minimum à 50%. S’il est étiqueté Daiginjo, le saké sera honjozo dans le style, avec de l’alcool ajouté. Si aucun alcool distillé n’est ajouté, il sera étiqueté Junmai Daiginjo. En raison du travail pointu et laborieux pour éliminer plus de 50% du grain de riz, le rendement obtenu est plus faible, ces sakés sont considérés le fer de lance des sakés premium. Ils sont encore plus aromatiques et plus raffinés que les Ginjo
Happoshu – saké pétillant élaboré soit par gazéification, soit par arrêt de fermentation et transféré en cuve close où se passe la prise de mousse. Certains peuvent finir leur fermentation en bouteille, ils seront non filtrés. Parfois des nigori ou des nama peuvent subir une refermentation non- délibérée en bouteille, ce qui les rend de type hopposhu ou plutôt bi- hopposhu ( légèrement pétillants).
Awa saké – saké rendu effervescent par une prise de mousse similaire à la méthode traditionnelle. Le précurseur de la la méthode est Mr. Nagai, président de l’association des producteurs de Awa Saké qui doivent respecter une charte très stricte.
Quelques sakés en dégustation :
Nanbu Bijin : « Luciola ».

Style : Kijoshu Préfecture : Iwate. Riz : non spécifié Polissage : 50%. Degré : 16.0% vol.
Robe pâle teinté d’argent. Délicat par ses notes de riz, de lait et de compote de pommes, quelques amandes. Doux, avec une acidité moyenne et un cœur charnu, riche, l’alcool est généreux, aux notes épicées. La pomme confite, la gelée de poire, ainsi que le poivre, les amandes grillées et le miel impriment un fond de bouche intense et riche en umami. Servir dans un verre à vin blanc de 30 cl, à 10-12°C.
Accords : Panna cotta de foie gras à la gelée de pomme. Préparations de type « à la royale », légumes racines en veloutés, comme le panais.
Yatshushika Shuzo :

Style: Nigori. Préfecture : Oita. Riz : Nihonbare et Reiho Polissage : 70%.
Polissage : 15.0% vol.
Nuageux et immaculé. Nez délicat qui délivre des notes de riz, de lait de riz, de riz au lait et de fleurs. En bouche, demi-doux, riche et de faible acidité, l’alcool semble moyen, le cœur est dense et granuleux avec des notes de poire, d’amandes, de lait et de biscuit de riz. Servir en Ochoko, réfrigéré.
Accord : Riz au lait à la compote de poires et à la chapelure d’amandes.
Urakasumi :

Style : Kioke Kimoto Junmai 280. Riz: Toyonishiki.
Polissage : 70%. Degré : 15.0%vol.
Robe citron verdâtre, pâle. Nez discret, avec des notes de riz, voile lacté et nuances d’amandes. Il est surmonté par une touche de crème et de yaourt. Sec et frais, avec une structure acide soutenue pour un saké, le palais est dense, structuré par l’apport du fut de cèdre japonais, avec une densité phénolique. Chaleureux, généreux, plein et long, avec beaucoup d’umami il finit sur des épices et des notes d’amandes. Servir dans un ochoko à température ambiante.
Accords : Capuccino de homard aux épices orientales. Fromage Comté.
Fumigiku Shuzo : Haneya « Kirabi»,

Style : Junmai Ginjo. Préfecture Toyama. Riz : Gohyakumangoku. Polissage : 60%. Degré : 16.0% vol.
Couleur claire transparente, étincelante. Nez surprenant, aux arômes résineux, caractère lactique et résonnances de poudre de riz, le fruit est délicat, il rappelle les poires vertes. Sec, frais et texturé, avec un alcool équilibré et une sensation de bouche veloutée qui digère la chaleur, la finale a une présence umami malgré le style Junmai Ginjo et la rétro-olfaction est longue avec un caractère bien à lui, amandes amères, riz au lait et zestes. Servir dans un verre à vin blanc de 30 cl à 10-12°C
Accord : Calamar poêlé avec sauce tartare.
Nagai Shuzo : Mizubasho « Sui ».

Style : Junmai Daiginjo. Préfecture : Gunma. Riz : Yamada Nishiki.
Polissage : 50%. Degré : 15.0% vol.
Pâle, limpide. Intense et frais aux arômes de fruits tropicaux tel le melon, avec une touche de pêche, quelques fleurs fraîches comme le chèvrefeuille. Sec, délicatement texturé avec une sensation soyeuse en bouche, l’acidité est basse et souple, l’alcool se montre modéré, sans chaleur. Les flaveurs sont intenses, la bouche, plutôt légère et élégante, ne révèle pas beaucoup d’umami, finale fruitée et croquante. Servir très frais dans un verre à vin blanc 30 cl type Riesling. Accords : Langoustines aux pêches pochées et cédrat, amandes fraîches. Fromage frais de brebis de Provence.
Nishida Shuzo : « Denshu ».

Style : Tokubetsu Junmai, Préfecture : Aomori. Riz : Hanafubuki. Polissage : 55%. Degré : 16.0% vol.
Pâle platine. Nez intense avec des notes de poudre de riz, banane grillée et peau de banane, châtaignes glacées et miel, camomille. Sec-tendre, avec une acidité basse et douce, sa texture lisse digère un alcool modéré et intégré, sans chaleur. La finale présente des notes savoureuses d’umami et un zesté piquant, les fruits mûrs s’enrobent de miel sur une superbe longueur. Servir dans verre à vin blanc 30 cl à 11-12°C.
Accord : Gravelax de truite, sauce moutarde au miel et aneth.
Styles spéciaux de saké :
Namazake ( Namazake ) Saké non pasteurisé
Saké Nigori Saké non filtré, souvent de couleur laiteuse
Taruzake ( Taruzake ) Saké vieilli dans des fûts en bois de cèdre
Jizake ( Jizake ) Saké local d’une petite kura (brasserie)
Saké Genshu Saké non dilué
Kijoshu Saké muté au saké